« Les chrétiens s’aiment avant de se connaître », dit le païen Cæcilius, dans Minutius Félix, et Tertullien rappelle le cri d’étonnement des adversaires de l’Évangile : « Voyez comme ils s’aiment entre eux et comme ils sont prêts à mourir les uns pour les autres ! »
Ainsi l’enthousiasme des uns à embrasser le Christianisme enflammait le zèle des autres pour le répandre. De même, dans les Actes des Apôtres (1, 12-14) « Tous, d’un même cœur, étaient assidus à la prière » Ou encore dans l’Evangile de Jean 15, 12 : « Mon commandement, le voici : Aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés. »
De nombreux passages de l’Evangile évoquent cet amour mutuel entre chrétiens, cette unité, et ce rayonnement auprès des non-chrétiens. Dans Jn 17, 21 : « Que tous soient un, comme toi, Père, tu es en moi, et moi en toi. Qu’ils soient un en nous, eux aussi, pour que le monde croie que tu m’as envoyé. »
Après avoir réfléchi l’année passée sur la sainteté, nous allons maintenant approfondir la vertu de Charité. Que représente-t-elle pour nous catholiques, et comment la mettre en œuvre dans nos vies en prenant garde aux écueils.
La charité : pour l’Eglise, pour les époux, pour les chrétiens
La charité de l’Eglise
Dans l’encyclique Mystici Corporis Christi promulguée en 1943, le pape Pie XII définissait l’Église comme le « corps mystique de Jésus-Christ ». Selon notre Catéchisme, l’Eglise est l’assemblée de ceux qui, par la foi et par le baptême, deviennent fils de Dieu, membres du Christ et temples de l’Esprit Saint.
« Elle est une, parce qu’elle a comme origine et comme modèle l’unité d’un seul Dieu, dans la Trinité des Personnes ; comme fondateur et comme tête, Jésus Christ, qui rassemble tous les peuples dans l’unité d’un seul corps ; comme âme, l’Esprit Saint, qui unit tous les fidèles dans la communion dans le Christ. Elle a une seule foi, une seule vie sacramentelle, une seule succession apostolique, une espérance commune et la même charité. » (CEC Abrégé, 161.)
Toutefois, comme rappelé dans la constitution du concile Vatican II Lumen gentium, « l’incorporation à l’Église, cependant, n’assurerait pas le salut pour celui qui, faute de persévérer dans la charité, reste bien « de corps » au sein de l’Église, mais pas « de cœur» ». Ainsi nous devons nous souvenir humblement que nous dépendons de la grâce particulière du Christ et que si nous n’y correspondons pas par la pensée, la parole et l’action, cela nous vaudra un plus sévère jugement.
Poursuivons notre réflexion avec l’encyclique « Deus Caritas est » du pape Benoît XVI (2005). La charité de l’Eglise est à voir comme manifestation de l’amour trinitaire : « Tu vois la Trinité quand tu vois la charité », écrivait Saint Augustin (De Trinitate, VIII, 8,12).
L’Esprit est aussi la force qui transforme le cœur de la communauté ecclésiale, afin qu’elle soit, dans le monde, témoin de l’amour du Père, qui veut faire de l’humanité, dans son Fils, une unique famille. La charité est la tâche de toute l’Église : l’amour du prochain qui prend sa source en Dieu, est demandé à chaque fidèle catholique, mais aussi à l’Eglise en tant que communauté. Saint Luc dans les Actes des Apôtres énumère quelques éléments constitutifs de l’Eglise : l’adhésion à «l’enseignement des Apôtres», à «la communion», à «la fraction du pain» et à «la prière» (cf. Ac 2, 42).
L’Église prend en considération tout autant le service de la charité, que les Sacrements et la Parole de Dieu. Il est bon de se rappeler que le grand auteur chrétien Tertullien (après 220) racontait comment l’attention des chrétiens envers toutes les personnes dans le besoin suscitait l’émerveillement chez les païens.
La charité n’est pas pour l’Église une sorte d’activité d’assistance sociale qu’on pourrait aussi laisser à d’autres, mais elle appartient à sa nature. Un point particulier qu’a mis en avant « Deus caritates est », est que dans cette famille de Dieu dans le monde qu’est l’Eglise, personne ne doit souffrir par manque du nécessaire. (Cf.la parabole du Bon Samaritain)
La charité du foyer chrétien
Dans son livre « Voyez comme ils s’aiment, l’amour conjugal chrétien, mystère de charité », l’abbé François Dantec démontre « comment la charité, éclaire, élève et transfigure l’amour conjugal, dont elle respecte toutes les valeurs essentielles et qu’elle amène à sa plénitude et à sa perfection. De sorte que dans nul foyer au monde on ne pourra jamais s’aimer comme dans un foyer où l’on s’aime d’un amour de charité ! »
De même, l’abbé Henri Caffarel, fondateur entre autres des Equipes Notre-Dame, avait une profonde conviction : les couples sont faits pour le bonheur. Le mariage en est un chemin car l’amour qu’on y reçoit et l’amour qu’on y donne sont source de bonheur. L’amour humain est, fondamentalement, un chemin d’accès à Dieu, par Jésus Christ.
Son leitmotiv : « se donner l’un à l’autre pour se donner ensemble. Si le couple est habité par la charité divine, il va s’ouvrir ». Le témoignage du couple Pour lui, l’union de l’homme et de la femme est un signe, qui non seulement révèle et représente le mystère de l’union Christ-Eglise, mais aussi le contient et le rayonne.
Cette présence du Seigneur dans le couple engendre une mission pour le monde. Le couple est témoin de Dieu pour le monde, voilà aussi sa responsabilité. Pour l’abbé Caffarel encore, il est un devoir capital, celui de l’hospitalité, qui est une part de l’un de nos piliers de Domvs Christiani : l’entraide mutuelle et la charité fraternelle.
Paul VI s’adressait ainsi à des foyers en 1970 : « En nos temps, si durs pour beaucoup, quelle grâce d’être accueillis « en cette petite Église », selon le mot de saint Jean Chrysostome, d’entrer dans sa tendresse, de découvrir sa maternité, d’expérimenter sa miséricorde, tant il est vrai qu’un foyer chrétien est « le visage riant et doux de l’Église ». C’est un apostolat irremplaçable qu’il vous appartient de remplir généreusement, un apostolat du foyer.»
Ce qui nous renvoie à notre 3ème pilier de Domvs Christiani : l’esprit missionnaire et le rayonnement !
La charité avec notre prochain : famille, amis, paroisses, groupe Domvs, au travail
S’unir ce n’est pas seulement pour deux chrétiens, s’engager l’un vis-à-vis de l’autre, c’est aussi s’engager ensemble vis-à-vis de l’Eglise. En effet par le mariage, le couple chrétien prend sa place dans l’Eglise et s’y trouve comme investi d’une charge publique.
C’est bien ce que Pie XII dans Mystici Corporis veut faire entendre : « le Christ a pourvu d’une manière particulière aux nécessités organiques de l’Eglise par l’institution de deux sacrements : le mariage et l’ordre ».
Par le sacrement de mariage, le couple, en tant que tel, en tant qu’il est un tout, est incorporé au Corps du Christ. L’amour du chrétien marié est constitué de trois éléments indissociables :
- L’amour de Dieu
- L’amour du conjoint comme premier prochain
- L’amour du prochain
Si l’un de ces éléments perd de sa vigueur, automatiquement les deux autres se condamnent à la longue à la médiocrité, car il n’y a qu’une seule vertu de charité. Cette place au sein de l’Eglise et du corps social entraînent des responsabilités à travers l’éducation de nos enfants : nous devons les éduquer à la charité. En synthèse, nous cherchons à aimer en vérité, nous devons vouloir faire l’unité dans l’amour et au final : c’est la même charité qui irrigue l’Eglise, les communautés, les familles, la société.
Les ruptures de la charité
Après avoir contemplé la Charité comme âme de l’Eglise, on ne peut, sans manquer à la cohérence, oublier les efforts de conversion que cela demande.
La rupture de la charité que constitue le péché
Le péché rompt l’unité dans la charité. De nombreux péchés vont venir rompre la charité dans nos familles, nos groupes Domvs, nos milieux de vie. L’orgueil, la médisance (se réjouir du mal qui existe en l’autre), la jalousie, la convoitise, pour n’en citer que quelques-uns, peuvent avoir des effets dévastateurs.
La mondanité, dont on ne se méfie certainement pas assez, peut venir gâcher la vie de nos groupes de foyers : quand l’esprit du monde l’emporte, il devient difficile de maintenir l’unité dans la vérité et la charité. Un amour surnaturel rendra nos groupes Domvs riches et attractifs !
Chacun peut savoir où il en est dans cet esprit de Dieu ou du monde en examinant sa capacité à aimer les gens difficilement aimables sur le plan naturel. Un autre test est le bon exercice de la correction fraternelle, juste milieu entre le silence coupable et le reproche amer.
Ces péchés qui touchent nos familles et nos communautés, en tant que ruptures de charité, participent spirituellement à la blessure de l’Eglise qu’est le schisme. Plus près de nos réalités quotidiennes, ces ruptures sont sources de séparations entre « chapelles ». Des familles, des paroisses, des groupes Domvs peuvent souffrir de l’esprit de division. Un écueil qui semble de plus en plus présent est la difficulté à admettre la différence de point de vue.
Il est essentiel de rester serein et humble dans un échange, et de savoir récupérer le meilleur de la position de l’autre. N’est-il plus possible de s’aimer sans être d’accord en tout ? Il en est ainsi dans une famille : même si l’on n’est pas d’accord, on reste frères. Dans la maison de mon Père, il y a de nombreuses demeures (Jean, 14) ! Une voie de progrès serait la promotion de la culture : l’étude animée par la charité devient une recherche non de l’arrogance polémique mais de la connaissance amoureuse du Christ. Cette connaissance rend humble et souple, capable d’écouter le prochain sans ressentir le besoin de se défendre à tout prix. C’est pourquoi nous devons avoir à cœur, en particulier dans nos familles et aussi dans nos groupes de foyers de nous cultiver, d’approfondir notre pensée. Cela passe par des lectures riches et diverses, et par l’étude de la doctrine catholique. Comme remède à ces écueils : l’Amour dans la Vérité. Opposons-nous à ce qui brise l’unité dans la charité.
Comment être résolument missionnaire ?
« Vous serez mes témoins » (Actes, 1), ou encore « Allez, faites de toutes les nations des disciples, les baptisant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit » (Matthieu 28) : ces paroles de Notre Seigneur nous invitent à porter témoignage et à évangéliser.
Plus que jamais, notre monde qui semble s’enfoncer dans le paganisme et la barbarie a besoin de témoins. En tant que chrétiens, notre vie témoigne de notre foi et de la joie d’être aimés et sauvés par le Christ.
Cela passe par une rectitude de notre vie de foi et de notre unité de vie. Le contre-témoignage ne serait-il pas l’oubli de cette mission ? Nous posons-nous assez la question de savoir ce qui donne envie de devenir chrétien aujourd’hui ? Comment pourrions-nous vivre d’une charité plus rayonnante dans notre couple, en famille, avec notre prochain ? La vie plus spécifique au sein des groupes Domvs Christiani Dans nos groupes Domvs, comment se vit, se pratique la charité ?
Renouvelons les temps d’amitié lors de nos réunions (que ce soit un dessert partagé, un repas plus soigné lors d’une occasion spéciale…). Cette Charité effective nous poussera à prendre soin de ceux qui rencontrent des difficultés, notamment lors de périodes d’attentes d’enfants, en particulier lors de grossesses difficiles, ou si l’enfant se fait attendre, si un foyer élève un enfant difficile (ado, grand jeune…), etc. Il peut être bon de vivre des moments d’amitié en dehors des réunions mensuelles, mais aussi de partager suffisamment au sein du groupe la réalité de nos vies (sans tomber dans le déballage bien sûr…).
Concrètement, chaque groupe Domvs Christiani peut choisir de mettre plus spécialement en œuvre :
- S’élever par : la prière, la culture, la sagesse
- Prière les uns pour les autres : ouvrir sa prière, ouvrir son cœur
- Partage de nos fardeaux : soutien mutuel
- Cultiver l’amitié par tout ce qui peut favoriser la cohésion du groupe
- Etre tourné vers la mission : quoi de mieux pour unir les cœurs et les âmes !
En conclusion
La joie et la paix sont des fruits de la charité chrétienne. Il faut suivre les commandements de Celui qui est le Créateur de notre nature humaine.
Il nous a commandé de l’aimer et d’aimer notre prochain, c’est la seule voie pour connaître la joie chrétienne. Mt 20, 37 : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit. C’est là le plus grand et le premier commandement. Un second lui est égal : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. En ces deux commandements tient toute la Loi, et les Prophètes. » Saint Thomas d’Aquin explique pourquoi le commandement de charité est le premier : « la charité est la racine et la fin de toutes les vertus. La racine, parce que c’est par la charité affermie dans son cœur que l’homme est mû à accomplir tous les autres préceptes – celui qui aime le prochain a accompli la loi […]. Elle est encore la fin des vertus, parce que tous les préceptes sont ordonnés à elle et ne se consolident qu’en elle – la fin des préceptes est la charité qui vient d’un cœur pur. Il dit donc : « Tel est mon précepte : que vous vous aimiez les uns les autres », comme s’il disait que tout procède de la charité comme d’un principe, et y est ordonné comme à une fin. » (« Commentaires de l’Évangile de saint Jean », sur le Chapitre XV).
En fin de compte, la charité provoque de la joie, car Dieu nous a créés pour participer à sa propre vie divine ; il nous a rendus capables de quelque chose qui était, de soi, totalement hors de notre portée : nous aimer les uns les autres comme Il nous a aimés (Jn, 15, 12).